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Le
No.1 apparaît uniquement dans le dernier épisode et seulement pendant quelques secondes.
C'est donc le No.2 qui incarne l'autorité et c'est lui qui applique la politique du
Village. Il est le premier administrateur ("chief administrator" dans It's
your Funeral) et différents hommes et femmes en assument successivement la
responsabilité. Malgré cette diversité, ce personnage garde des traits
caractéristiques tout au long de la série. Comme le Village, le No.2 semble être, à
première vue, un personnage tout à fait sympathique. Seul celui de Hammer Into Anvil
est décrit comme un vrai sadique ("a professional sadist") par le No.6. D'une
manière générale, le No.2 serait plutôt un charmeur, un beau parleur toujours prêt à
faire de l'esprit.
L'ironie de la série Le Prisonnier apparaît nettement lorsque
que l'on écoute la façon dont les No.2 parlent au No.6. Bien qu'ils aient comme but
ultime de le faire craquer et révéler ses secrets, ils lui parlent d'une façon des plus
douces et tiennent un discours plein de civilités. Ils deviennent plus brusques que très
rarement et font au contraire preuve de beaucoup de respect envers le Prisonnier. Etudions
maintenant les locutions utilisées par les différents No.2 lorsqu'ils s'adressent au
No.6 :
-
Arrival : "Old boy, my dear fellow"
-
The Chimes of Big Ben: "My dear chap"
-
A, B & C : "My dear fellow"
-
Free for All: "My dear fellow"
-
The Schizoid Man: "my dear chap"
-
The General : "My dear fellow"
-
A Change of Mind: "my dear friend"
-
It's your Funeral : "my dear fellow"
-
Dance of the Dead : "old chap"
-
Do not Forsake me oh my Darling : "Boy, old boy, my friend"
-
Once upon a Time: "My boy, good boy, boy, young man, son"
-
Fall Out: "my dear chap"
Le même genre de termes est utilisé par les autres personnes qui ont
autorité sur le Prisonnier. Il est alors appelé "fellow", "my boy" (A
Change of Mind), "sir" (Arrival) et indirectement cette fois, un
garçon plein d'avenir ("a likely lad" dans Once upon a Time) ou un
"gentleman" dans Fall Out. L'ironie dont font preuve les gardiens du
village ne se limite pas à ces quelques exemples mais est aussi présente dans des
conversations entiers. C'est ainsi qu'a maintes reprises le No.2 et le No.6 papotent avec
une apparente bonhomie. Celui qui détient le pouvoir montre le plaisir qu'il a à
rencontrer le No.6 et il est tout disposé à se laisser aller à d'agréables
conversations à propos du temps qu'il fait ou d'autres sujets triviaux. Le No.2 accoste
le No.6 comme s'ils étaient de vieilles connaissances qui se retrouvaient après une
longue période passée sans se voir:
-
A:"Enfin, ravi de vous voir" ("At last, delighted to see you!")
- "Bonne journée No.6" ("Good day No.6!")
-
CBB: "Puis-je me joindre à vous?" ("May I join you?")
- "Une conversation très agréable" ("Delightful chat!")
- "Comme s'est gentil de venir" ("How good of you to come!")
-
FA: "Envie de papoter? ("Fancy a chat?")
-
F: "Qu'est ce qui me vaut le plaisir de votre companie?" ("To what
then do I owe the pleasure of your company?")
-
DD: "Passez une bonne journée" ("Have a nice day!")
-
FO: "Comment vous portez-vous?" ("How have you been keeping ?")
Cette technique n'est pas tout à fait innocente et le No.2 est loin
d'être le personnage doucereux qu'il s'efforce d'incarner. Tels les tyrans les plus
connus, il est avant tout un vrai démagogue, un homme qui sait comment plaire au peuple.
Par exemple, il met volontiers en avant le fait que le Village est une vrai démocratie
où chaque citoyen fait son choix ("every citizen has a choice" in Free for
All). Même si le No.6 n'est pas tout a fait convaincu (des élections...ici?), les
autorités villageoises s'en vantent en plusieurs occasions. Dans Arrival par
exemple, le No.2 présente le Village au nouveau venu et son conseil démocratiquement
élu. ("We have our own council, democratically elected.") Dans Many Happy
Returns, nous apprenons que les élections ont lieu une fois par an et dans Fall
Out que l'assemblée est réunie pour résoudre la crise que traverse la société
démocratique qu'est le Village ("in a matter of democratic crisis") et le
président parle de ceux qui ont été élus pour nous gouverner ("those voted to
govern us"). Dans Dance of the Dead, la surveillante du No.6 affirme que les
règles du Village obéissent au crédo Américain "Du peuple, par le peuple, pour le
peuple" ("Of the people, by the people, for the people") et le No.2
féminin de cet épisode prétend croire au pouvoir du peuple:
- No.6: On me laisse le choix? (I have a choice?)
- No.2: Vous faites ce que voulez. (You do as you want)
- No.6: Dans la mesure où c'est ce que vous voulez! (As long as it's what you want)
- No.2: Dans la mesure où c'est ce que la majorité veut! Nous sommes en démocratie...en
un certain sens. (As long as it is what the majority wants. We're democratic, in some
ways.)
La voie que l'on entend par les haut-parleurs insiste aussi beaucoup
sur le pouvoir du peuple. Cela en devient même suspect: "Notre conseil municipal, et
je vous rappelle que c'est vous-mêmes qui avez élu les membres de ce conseil d'une
façon toute à fait démocratique, ce conseil, donc, a décidé d'organiser un nouveau
grand concours". ("Your local council, and remember it is your
local council, democratically elected by you, has decided to organize a great new
competition.") En effet, les élections du Village s'avèrent vite être une tactique
destinée à faire parler le Prisonnier. Le No.6 n'est élu que pour se faire maltraité
et retrouver son statut de prisonnier. Le No.2 affirme même que ce n'est que le début de
ses souffrances. Au Village, les mots perdent donc leur sens d'origine et le langage est
utilisé avec l'intention de tromper. Pare exemple, le mot "démocratie", si
souvent utilisé au Village, ne renvoie pas à la définition que l'on pourrait trouver
dans un dictionnaire. Cela ne signifie pas quelque chose comme "organisation
politique dans laquelle les citoyens ou leur représentants sont souverains." Les
mots perdent une partie de leurs significations pour ne garder que celles qui sont
acceptables au Village. Par exemple, le mot libre ("free") n'a pas son sens
courant. Cela ne signifie sûrement pas "qui a le pouvoir de décider, d'agir par
soi-même". La preuve en est que le No.6 ne peut pas se déplacer comme il l'entend
et surtout, qu'il ne peut pas quitter le Village. Le mot est plutôt utilisé pour
désigner le bassin du Village ("free sea"). Libre renvoit alors à ce qui est
à la disposition des villageois, l'endroit où il peuvent jouer avec leurs bateaux
miniatures. Cette manière d'altérer les mots pour coller aux besoins idéologiques des
autorités rappelle fortement le 1984 de George Orwell. Dans ce roman, le
gouvernement, le "Angsoc" ("Ingsoc") a crée un nouveau langage, la "novlangue"
("Newspeak") qu'il souhaite imposer graduellement à la population. Dans
l'appendice qui en explique les principes fondamentaux, nous apprenons que le mot
"libre" ("free") ne peut plus désormais être utilisé dans le sens
ancien de "liberté politique" ou de "liberté intellectuelle".
(Politically or intellectually free")
Au contraire, et avec la même restriction au Village, le mot peut
être employé pour dire que "le chemin est libre" (pour: a dog "free from
lice") (Orwell, 1984, p422). Dans 1984, les significations secondaires
sont supprimées car "les libertés politiques et intellectuelle n'existaient en
effet plus, même sous forme de concept." (Idem). Au Village, le No.2 utilise des
mots pour les nobles idéaux qu'ils représentent alors que ceux ci sont dépouillés de
leur significations qui, de toutes façons, se seraient mal appliqué à l'endroit. Les
mots sont adoptés pour la respectabilité qu'ils incarnent. La politique menée dans 1984
se dénomme l'"Angsoc", le socialisme Anglais. ("Ingsoc"-English
socialism") mais c'est en fait un système qui méprise les travailleurs manuels. La
politique antisémite de Hitler avait beau être des plus immonde, elle s'appelait
néanmoins "socialisme". Les autorités du Village déclarent être une
démocratie mais cela ne suffit pas à en faire un fait incontestable. Et ils le savent
très bien. Les gardiens parlent d'une manière proche dur la "double-pensée"
de 1984 qui consiste à se mentir à soi et aux autres. C'est:
En pleine conscience et avec une
absolue bonne foi, émettre des mensonges soigneusement agencés. Retenir simultanément
deux opinions qui s'annulent alors qu'on les sait contradictoires et croire à toutes
deux. Employer la logique contre la logique. Répudier la morale alors qu'on se réclame
d'elle. Croire en même temps que la démocratie est un impossible et que le parti est
gardien de la démocratie. (Idem, p55)
Dans 1984, le ministère qui s'occupe de faire respecter la loi
et de l'ordre se dénomme le "ministère de l'amour". De la même façon, les
autorités du Village n'ont jamais cru en la démocratie et au pouvoir décisif du peuple.
Ils utilisent néanmoins le mot pour décrire le Village et sa dictature; pour donner une
apparence respectable à l'ensemble, sachant eux-mêmes que c'est un pur mensonge.
L'utilisation la plus ironique du langage est probablement le panneau que l'on trouve à
l'extérieur du cottage du No.6. Il y est inscrit "6-private" mais le mot
"private" a aussi perdu sa vraie signification car tous les mouvements du
prisonnier sont observés, en particulier à l'intérieur de chez lui. Pour construire
leur propre réalité, les autorités utilisent des mots qui ont perdu leur sens premier,
et parviennent donc à mentir avec un redoutable sérieux:
- No.2: Won't you ever give up?
- No.6: What do you think?
- No.6: We have ways of making you see sense, ways that are carried under the strictest
medical supervision of course
- No.6: I can guess what, from the state of the man you took yesterday!
- No.2 : The rook? Oh, he will come to no harm, he's been put on a rehabilitation course.
- No.6 : You make it sound very attractive. What do you want me to do, envy him ?
Le No.2 tente de donner de la respectabilité à ses odieux
agissements. Néanmoins, la "rehabilitation course" n'est qu'un euphémisme qui
dénote un conditionnement de type Pavlovien. Dans Politics and the English Langage, George
Orwell s'attaque aux discours qui défendent l'indéfendable. ("the defence of the
indefensible") (Orwell, Essays, p136). Le même type de langage que celui tenu
par les autorités du Village est aussi utilisé dans le monde réel. Les atrocités
telles que les purges Soviétiques ou les bombes atomiques sont couramment justifiées au
moyen de vagues expressions ou d'euphémismes: Des villages bombardés, les habitants
chassés vers la campagne, les troupeaux abattus à la mitraillette, les huttes brûlées
avec des balles incendiaires: c'est ce que on appelle pacification."
("Defenceless Villages are bombarded from the air, the inhabitants driven out into
the countryside, the cattle machine-gunned, the huts set on fire with incendiary bullets:
this is called pacification." ) (Idem).
Au Village, le langage est corrompu et on pourrait dire qu'il est
pensé afin de redonner une apparence de vérité aux mensonges, de respectabilité aux
meurtres et de solidité au vent. ("designed to make lies sound truthful and murder
respectable, and to give an appearance of solidity to pure wind.") (Idem, p139).
C'est de cette façon que nous réalisons que lorsque le No.2 dit au No.2 qu'il souhaite
son bonheur ("We want you to be happy!"), il faut comprendre qu'il espère que
toute trace d'agressivité et de rébellion disparaisse chez le Prisonnier. Une grande
quantité de mensonges sont donc dits sans la moindre gène. Elle a pour auteur soit les
autorités où ce qui les soutiennent, les gardiens et les prisonniers soumis. Leurs
discours deviennent évidemment très ironiques:
- "C'est incorrect d'écouter les conversations" ("It's improper to
listen") alors que des micros sont cachés un peu partout.
- "On croirait que vous êtes enfermé à vous entendre!" ("Anyone would
think you were locked inside the way you talk!") Alors que oui, il y est. (DD)
- "On va vous guérir No.6" (You'll be cured No.6) ne signifiant pas qu'on va
lui apporter des soins mais plutôt le torturer psychologiquement (CBB)
- "L'humour est l'essence même d'une société démocratique." ("Humour is
the very essence of a democratic society") alors que ni l'humour ni la démocratie
n'existent au Village.
Cet aspect de la série est mis en valeur par la bande originale qui
utilise en fait le même genre de double langage. De la même façon que le No.2 utilise
sans honte des propos en complète opposition avec ses agissements, de reposantes musiques
se font entendre durant les scènes les plus violentes (psychologiquement ou
physiquement):
-
Arrival: Le No.6 détruit son poste de radio au son d'une berceuse.
- Bagarre sur la plage au son d'un morceau de Jazz.
- Enterrement accompagné par la fanfare du Village.
-
A, B & C: le No.6, drogué, perd connaissance sur l'air d'une berceuse.
-
The Chimes of Big Ben: Le No.6 est psychologiquement anéanti au son de la fanfare.
-
Hammer into Anvil: Violente bagarre entre les Nos 6 & 14 sur un morceau de
Vivaldi.
-
Fall Out: mitraillettes au son de All you Need is Love des Beatles.
Au Village, les mensonges sont prononcés avec grand sérieux et
dissimulés dans les discussions les plus anodines. C'est là que se trouve l'aspect le
plus ironique de la série. C'est aussi ce qui nous fait douter de l'apparente joyeuse
humeur qui règne au Village. Le joli Village de vacances coloré s'avère en effet être
une société où le langage est manipulé. Le No.2 qui en fait grand usage apparaît
désormais comme un puissant démagogue qui trompe ses auditeurs.
Ouvrages cités et en rapport avec le sujet:
Breton, Philippe, La Parole manipulée, Paris, La découverte,
1997.
Orwell George, 1984, Paris, Gallimard, 1991.
Orwell George , The Collected Essays, Journalism and Letters,
Vol.4 In Front of Your Nose, 1945-1950, London, Routledge, Secker&Warburg,
1968, p136.
Packard Vance, The Hidden Persuaders, Harmondsworth, Penguin,
1986.
Tchakhotine Serge, Le Viol des foules, Paris, Gallimard, 1952.
Texte © Guillaume Granier pour le rÔdeur, 12/1999.
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