Le Prisonnier aux Rencontres littéraires Irlandaises et Galloises, Nantes
le 16 octobre 2005
Par Patrick Ducher
La requête pouvait sembler incongrue de prime abord, télévision et littérature
n'ayant pas toujours fait bon ménage…L'association nantaise Impressions d'Europe,
présidée par Yves Douet assisté de Patrice Viart, a contacté le rÔdeur
en août dernier dans le cadre des Rencontres littéraires Irlandaises et Galloises
qu'elle organisait à Nantes. Durant 3 jours (du vendredi 14 au dimanche 16 octobre)
ouverts au public dans le cadre d'une manifestation intitulée "Lire en fête",
il devait être question de littérature, de traduction, d¹édition mais aussi
de théâtre et de cinéma avec notamment la projection de plusieurs films et séries
TV de Samuel Beckett.
Tiens, tiens, Beckett à la télévision ? Mais où est le rapport avec Le
Prisonnier me diriez-vous ? Or l'association avait également invité
pour le samedi 15 octobre, Robin Llywelyn auteur du recueil de poésie Etoile
blanche sur fond blanc aux éditions Terre de brume. Les amateurs
connaissent bien sûr Robin en sa qualité de directeur du village de Portmeirion.
Il devait être présent en compagnie de sa traductrice, Marie-Thérèse Castay.
Le rapport devenait évident quand Impressions d'Europe demanda notre
conseil quant à la projection de deux épisodes, mais également pour co-interroger
Robin avec Jean-Yves Le Disez, éminent universitaire breton et Maître de conférences
à l'Université de Bretagne Occidentale, ci-devant spécialiste du Pays de Galles
et auteur lui-même.
Ayant recommandé "L'arrivée" et "Echec et Mat",
deux épisodes tournés à Portmeirion parmi les plus visuellement frappants, l'association
sollicita mes services pour présenter la série au public le dimanche 16. Rendez-vous
fut donc prit au LU, le Lieu Unique, ancienne biscuiterie rénovée abritant une
librairie, un restaurant, un bar, une salle d'exposition et de concert. Bref,
un lieu de foisonnement culturel passionnant.
Arrivé
un peu en avance en provenance de Lyon via Paris, j'ai pu échanger quelques
mots avec Robin. Surtout, ce fut l'occasion d'entendre Breda M. Spaight, une
enseignante, écrivaine et visiteuse de prison irlandaise. Son témoignage fut
bouleversant sur la condition des détenus (dont le seul réconfort est de recevoir
en cachette des téléphones portables) mais aussi sur l'existence d'une certaine
pauvreté dans la verte Erin en dépit d'une apparente opulence depuis une quinzaine
d'année. Témoin le Breakfast club, association caritative distribuant des petits
déjeuners à des enfants de quartiers défavorisés. Mme. Spaight est également
l'auteur de Dieu sur le mur (ed. de l'Aube), un roman très
grinçant sur la place de l'Eglise en Irlande.
La Salle de Musique accueillit la conférence sur Portmeirion et le Prisonnier
mais également un invité menaçant : un gigantesque rôdeur d'au moins deux mètres
de diamètre ! L'effet était saisissant et la centaine de spectateurs de tous
âges se demandait bien ce qui les attendaient. Jean-Yves Le Disez questionna
Robin Llywelyn sur la création du Village par son illustre grand-père, Clough
Williams-Ellis. Il parla avec passion de son œuvre et expliqua que Sir Clough
pensait que de "bonnes manières" en termes d'architecture pouvaient également
permettre de faire des affaires. Mr. Le Disez mit en évidence le monde de subtils
faux-semblants du Village et les prouesses visuelles géniales de Sir Clough
de même que l'engagement de Robin pour la sauvegarde de l'identité galloise.
Ce denier devant prendre un avion, il quitta l'assemblée, néanmoins conquise
par cet entretien très animé.
On passa ensuite aux images, très attendues, de "l'Arrivée"
et de "Echec et mat" en VF. Votre serviteur expliqua le choix
de tels épisodes (ils posent le contexte de la série, on découvre des gimmicks
forts, on veut savoir ce qui va se passer ensuite…) toujours sous l'œil vigilant
du rôdeur. Puis devant le désarroi de quelques spectateurs, j'expliquai - sans
trop dévoiler - quelques coulisses de tournage telles que la naissance du ballon
blanc, la symbolique des signes (Grand Bi…), les conditions de tournage, les
approximations de la traduction etc.
Le
public fut bien en peine de deviner ce qui allait bien pouvoir se passer dans
le 17ème et dernier épisode et je me gardai bien de leur une piste quelconque.
Un débat sur les influences supposées de McGoohan fut improvisé et l'on fit
référence à Orwell, Huxley, Zamiatine, mais également à Globalia,
un livre de Jean-Christophe Ruffin décrivant une immense zone sécurisée et sans
frontière, une démocratie poussée aux limites de ses dangers où la liberté individuelle
est étroitement surveillée. Et finalement, j'ai bien trouvé un rapport entre
Beckett et Le Prisonnier. Grâce à… Leo McKern dans une lettre à Brian Nixon.
Son seul témoignage sur la série d'ailleurs.
(…) Honnêtement, les tenants et les aboutissants (du Prisonnier) importent
peu. Ce qui est important, c'est que ça peut raconter l'histoire de n'importe
quel prisonnier, qu'il s'agisse d'un prisonnier politique, d'un criminel, d'un
malade, d'un handicapé. (La série) éveille la curiosité de chacun d'entre nous,
car je suppose que nous sommes tous prisonniers de quelque chose - de nos emplois,
de nos carrières, de nos ambitions, des gens qu'on aime et de ceux qu'on déteste,
de notre environnement, de notre gouvernement et ainsi de suite jusqu'à l'infini.
Je ne pense pas que McGoohan lui-même se soit embarrassé de détails. L'idée
géniale de mon point de vue - était suffisamment vaste et devait beaucoup sans
doute à "En attendant Godot". Je vous recommande chaudement cette pièce si vous
ne l'avez pas lue. (…).
Merci à Yves Douet et Patrice Viart pour leur chaleureuse invitation,
ainsi qu'à Jean-Yves Le Disez pour ses interventions pertinentes. Merci aussi
à Solveig, Laurence et Florence pour leur accueil. Merci à Michèle Roussel pour
ses conseils. Enfin, Merci à Sangarre pour la compagnie !